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Le prix de production et la notion de lexplotacion dans le marxisme

Lex prix de production et la notion de lexplotacion dans le marxisme

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Une des objections les plus rĂ©itĂ©rĂ©es lors de la discussion sur l’échange inĂ©gal a Ă©tĂ© celle qui se rĂ©fĂšre Ă  la notion de l’exploitation et Ă  l’usage qui apparaĂźt dans mon ouvrage.

Cette objection a gĂ©nĂ©ralement revĂȘtu une double forme : d’une part, il a Ă©tĂ© soutenu que tout emploi “exploitation” en dehors de l’achat de la force de travail serait antiscientifique et “idĂ©ologique”; d’autre part, on faisait remarquer qu’un systĂšme de prix de production, dans la mesure mĂȘme oĂč il serait correct, c’est-Ă -dire Ă©purer des carences bien connu du schĂ©ma de transformation de Marx, rendrait impossible l’apprĂ©hension logique du mĂ©canisme et du taux d’exploitation.

Je me propose de montrer ici que les deux pans de cette objection sont mal fondés.

LE SENS DU TERME “EXPLOITATION” DANS LA THÉORIE MARXISTE

Dans la mesure oĂč Marx lui-mĂȘme est un bon marxiste, on peut affirmer sans risque de se tromper que la littĂ©rature marxiste n’a en aucune façon limitĂ© l’usage du terme “exploitation” dans le seul cas de l’achat de la force de travail. Pour s’en convaincre il suffit de glaner au hasard quelques-uns parmi les innombrables passages oĂč Marx applique carrĂ©ment ce terme Ă  des faits et gestes, les plus variĂ©s et les plus Ă©loignĂ©es des rapports entre employeurs et salariĂ©s. Ainsi par exemple:

“L’exploitation sous forme de pillage des hommes, l’esclavage, le commerce des esclaves et le travail forcĂ© de ceux-ci, l’accroissement de ces machines de travail, sur produit producteur de machine, tout cela est alors Ă  qui par la violence, cependant que le capital dĂ©veloppĂ© l’obtient grĂące Ă  l’échange.” (FONDEMENTS, Ed. Anthropos, Vol.II, p.300)

Par ailleurs:

“Deux nations peuvent procĂ©der entre elles Ă  des Ă©changes d’aprĂšs la loi du profit, de telle sorte qu’elle y gagne toutes deux, bien que l’une exploite et vole constamment l’autre.” (idem, p.426)

Et quelques lignes plus loin, il explicite cette thĂšse en dĂ©finissant en quelque sorte l’exploitation par l’appropriation du surtravail et en indiquant formellement que cette appropriation peut avoir lieu en dehors de l’achat de la force de travail par le capitaliste:

“L’un des Ă©changistes peut sans cesse s’approprier une fraction du surtravail de l’autre, sans lui donner quoi que ce soit en retour pour elle, et pourtant la mesure employĂ©e ici n’est pas celle de l’échange entre capitalistes et ouvriers.” (idem)

Aussi:

“En exploitant le marchĂ© mondial, la bourgeoisie a donnĂ© une forme cosmopolite Ă  la production et Ă  la consommation de tous les pays.” (Manifeste communiste, PlĂ©iade, I, p.165)

Dans le deuxiÚme chapitre du troisiÚme livre du capital, Marx, parlant des formes precapitalistes de rente et notamment de la rente en travail (corvée), écrit:

“Si la force de travail est peu productive, c’est les conditions naturelles du travail sont insuffisantes, le surtravail est rĂ©duit, mais on peut en dire autant des besoins des producteurs, du nombre relatif des exploiteurs et enfin de se reproduire rĂ©aliser par le petit nombre des propriĂ©taires qui se livrent Ă  l’exploitation du surtravail.”1 (PlĂ©iade, II, p.1402)

Comme s’il prĂ©voyait l’erreur d’une interprĂ©tation par trop Ă©troite, Marx multiplie les exemples ou l’exploitation dĂ©passe le cadre du mode de production capitaliste:

“En ce sens le monopole de la propriĂ©tĂ© fonciĂšre est une condition historique prĂ©alable qui reste la base permanente du mode capitaliste de production, comme de tous les modes antĂ©rieurs de production reposant sur l’exploitation des masses sous une forme ou sous l’autre.” (Le Capital, Livre 3, PlĂ©iade II, p.1271)

“EndettĂ© le maĂźtre d’esclaves ou le seigneur fĂ©odal pressure davantage ses victimes
 ou bien il finit par cĂ©der la place Ă  l’usurier, qui devient lui-mĂȘme propriĂ©taire foncier ou possesseur d’esclaves, tel le chevalier de la Rome antique. A l’ancien exploiteur qui employait des mĂ©thodes plus ou moins patriarcales
 se substitue un parvenu dur et cupide. Mais le mode de production comme tel n’est en rien changĂ©.” (idem p.1270)

“Au Moyen-Ăąge
 la campagne exploite politiquement la ville ; mais Ă©conomiquement, c’est invariablement la ville qui exploite la campagne par ses prix de monopole, ses impĂŽts, ses corporations, trop de commercial et son usure.” (idem p.1411)

Mais mĂȘme au sein du mode capitaliste de production, l’exploitation dĂ©passe aux yeux de Marx le cadre de la production et du rapport employeur-salariĂ©:

“À coup sĂ»r, dans cette forme aussi “(prĂȘte Ă  la consommation)”, la classe ouvriĂšre est escroquĂ©e d’incroyable façon ; mais elle est Ă©galement par le dĂ©taillant qui lui fournit les denrĂ©es. c’est une exploitation secondaire qui va de pair avec l’exploitation initiale, celle qui se situe au sein mĂȘme du processus de production
” (Le Capital, Livre 3, PlĂ©iade II, pp 1282-83)

“L’usure et le commerce exploite un mode de production donnĂ©.” (idem p.1283)

etc. etc.

A ces citations on pourra ajouter les deux passages bien connus, respectivement d’Engels et LĂ©nine:

“Le prolĂ©tariat anglais devient de plus en plus bourgeois de sorte que cette nation qui est la plus bourgeoise des nations tend apparemment Ă  acquĂ©rir une aristocratie bourgeoise et un prolĂ©tariat bourgeois parallĂšlement Ă  la bourgeoisie proprement dite. Pour une nation qui exploite le monde entier, cela, naturellement, est dans une certaine mesure comprĂ©hensible.” (Lettre d’Engels Ă  Marx, 7.10.1858)

“… Saurons-nous tenir
 jusqu’au jour oĂč les pays capitalistes d’Europe occidentale auront tache fait leur dĂ©veloppement vers le socialisme ? mais il ne l’achĂšve pas comme nous le pensions auparavant. il l’achĂšve non par une “maturation” rĂ©guliĂšre du socialisme chez eux, mais au prix de lexploitation de certains Ă©tats par d’autres, de l’exploitation du premier Ă©tat vaincu dans la guerre impĂ©rialiste, exploitation jointe Ă  celle de tout l’Orient.” (Mieux vaut moins mais mieux, 1923, LĂ©nine, ƒuvres ComplĂštes, T.33, pp. 514-515)

Il ne semble donc pas que Marx et les classiques du marxisme et jamais voulu doter ce terme d’un caractĂšre scientifique quelconque. Depuis l’achat de la force de travail par le capitaliste jusqu’au commerce international, en passant par les rapports au village-campagne, les activitĂ©s du propriĂ©taire foncier, celles de l’usurier, du commerçant etc., et l’employĂ© dans le mĂȘme sens gĂ©nĂ©ral que celui de tout le monde: obtention d’un avantage indu au dĂ©triment d’autrui; l’achat de la force de travail n’en est qu’un cas d’espĂšce.

Ainsi dĂ©fini, ce vocable constitution contestablement un terme normatif et c’est bien comme tel qu’il apparaĂźt dans la littĂ©rature marxiste traditionnelle. il serait d’ailleurs impensable que Marx empruntĂąt un mot si commun, c’est consacrĂ© par l’usage et si chargĂ© d’idĂ©ologie pour en faire un concept scientifique moyennant une dĂ©finition restrictive, celle qui limite son application au cas particulier de l’achat de la force de travail, dĂ©finition qui, au demeurant, ne figure nulle part dans l’Ɠuvre marxienne. Ajoutons en passant que si tel Ă©tait la dĂ©finition du mot “exploitation”, expressions telles que “exploitation du travail”, “exploitation de la force de travail”, etc., que Marc c’est les marxiste en mille fois utilisĂ© serait d’affreux plĂ©onasmes. 2

Ce qui peut avoir une connotation scientifique c’est le “degrĂ©” ou le “taux” d’exploitation, ne fĂ»t-ce que parce qu’il implique l’existence d’une mesure. Mais il ne s’agit alors que d’une transposition littĂ©raire du “taux de plus-value”. Comme elle n’y ajoute rien sur le plan scientifique, cette expression devient alors inutile; taux de plus-value suffit.

Mes critiques rĂ©sonnent comme s’ils craignaient que mes lecteurs ne soient induits en erreur. Quand les gens par exemple dans mes Ă©crits que la nation française oĂč les ouvriers français exploite la nation sĂ©nĂ©galaise nom des disques que les ouvriers français achĂštent la force du travail des ouvriers sĂ©nĂ©galais! Naturellement, cette crainte ne m’a pas effleurĂ©, pas plus qu’elle n’a effleurĂ© Marx, Engels, LĂ©nine, Otto Bauer etc., quand ils Ă©crivaient la mĂȘme chose. AprĂšs tout, si les mots, exploiter, exploitation, sont imprimĂ©s 20 fois dans mon livre, ils font plus de 10 fois partie de citations de l’un ou l’autre de ces auteurs.

En fait, mĂȘme lorsque Marx a plus que le mot exploitation au cas de l’achat de la force de travail, ce que ça me recouvre n’est pas l’acte de l’achat proprement dit, mais la propriation du surtravail qui en dĂ©rive et dans la mesure oĂč il en dĂ©rive, puisque le degrĂ© d’exploitation est fonction de la quantitĂ© de ce surtravail. Selon Marx, ce taux d’exploitation est variable conjoncturellement. Rien n’empĂȘche donc que dans certaines circonstances il soit zĂ©ro. DĂšs lors, c’est la seule chose qui mĂ©ritait le nom d’exploitation Ă©tait l’achat de la force de travail on devait conclure qu’il peut y avoir exploitation Ă  un degrĂ© zĂ©ro!

Mais si personne n’achĂšte de la force de travail qu’en vue de s’approprier une partie au moins du surtravail, on peut par contre trĂšs bien s’approprier du surtravail sans qu’on soit soi-mĂȘme acheteur de force de travail.3

Le contenu de l’exploitation ainsi prĂ©cisĂ©, je n’ai aucun malentendu Ă  craindre de la part de mes lecteurs. Car c’est bien dans ce sens, c’est-Ă -dire dans celui de l’appropriation de surtravail que j’emploie ce terme. Quand je dis que les travailleurs des pays dĂ©veloppĂ©s participent Ă  l’exploitation de ceux du tiers-monde, je n’entends pas qu’en travaillant 8h c’est travailleur touche l’équivalent de 6 ou 7 heures alors que ceux du tiers monde, pour le mĂȘme nombre d’heures total, n’en touchent que deux ou trois, mais qu’en travaillant 8h il touche l’équivalent de plus de 8 heures, peut-ĂȘtre de 18 ou de 28, le surplus ne pouvant, de toute Ă©vidence, ĂȘtre autre chose que du surtravail de quelqu’un, en l’occurrence, celui des travailleurs du tiers-monde. si j’ai raison ou tard quand au fond, c’est une autre question, qui ne peut en aucun cas ĂȘtre de conceptualisation mais de calcul.

LE PROFIL ET L’EXPLOITATION DANS UN SYSTÈME DE PRIX DE PRODUCTION

Un certains consensus s’est derniĂšrement Ă©tabli parmi les marxistes sur l’idĂ©e que la soi-disant “transformation” constitue un problĂšme insoluble, aucune transition logique ne pouvant exister entre des valeurs absolues exprimant des quantitĂ©s de travail physiquement donnĂ© et les prix de production relatifs exprimant de simple rapport d’échange entre les marchandises, ces rapports fussent-ils normalisĂ©s.

Le dĂ©saccord commence au-delĂ  de ce point. D’un cĂŽtĂ© l’on pense que cette irrĂ©ductibilitĂ© de la valeur au prix de production n’empĂȘche pas que le rĂŽle essentiel de tous les deux soit d’expliquer les Ă©changes, chacun dans des conditions, historiquement ou hypothĂ©tiquement–peu importe–diffĂ©rentes. C’est aussi mon opinion personnelle. De l’autre cĂŽtĂ©, elle en acerbe que seul le prix de production dĂ©termine et Ă©quilibre les Ă©changes, alors que le rĂŽle exclusif de la valeur travail, beaucoup plus noble celui-lĂ , et de rationaliser l’existence mĂȘme de la marchandise, avec, dans un deuxiĂšme temps, l’explication du profit et de l’exploitation.

Ainsi les rĂŽles seraient partagĂ©s. La valeur travail ne montrerait l’exploitation mais n’aurait rien Ă  voir avec les Ă©changes, elle semblerait mĂȘme les contredire ; le prix de production, lui, expliquerait bien les Ă©changes mais occulterait l’exploitation.

Cette position nous semble inacceptable.

Si les valeurs des inputs sont transformĂ©es en prix de production en mĂȘme temps que celles des outputs, disent en substance ceux qui formulent cet argument, si le systĂšme de prix de production, hybride et boiteux, de Marx est remplacĂ© par un systĂšme de prix de production intĂ©grale et partant correct, type Sraffa, toute trace de l’origine et de la nature du profit disparaĂźt. Avec un tel systĂšme on rend parfaitement compte des Ă©changes mais l’on se prive de tout moyen de montrer l’exploitation. Quant Ă  la conception qui inscrit la rupture entre valeur et prix de production dans une sĂ©quence historique, faisant de l’une le dĂ©terminant des Ă©changes dans les rapports marchands simples et de l’autre celui des Ă©changes dans le mode de production capitaliste, conception qui chez Engels, fait remonter la valeur travail Ă  plusieurs milliers d’annĂ©es dans le passĂ©, l’attitude de ces thĂ©oriciens va du simple sarcasme Ă  l’affirmation que les rapports marchands simples ne sont gĂ©nĂ©raux ou dominants dans aucun systĂšme de production.

Ces derniers oublient que les quantitĂ©s de travail socialement nĂ©cessaire dĂ©terminent effectivement l’échange des marchandises non seulement dans les rapports marchands simples mais aussi dans les systĂšmes capitalistes peu dĂ©veloppĂ©s oĂč le capital, prisonnier de son affectation premiĂšre, est difficilement transfĂ©rable de branche Ă  branche.4 Or si les premiers ont plus ou moins une vue de l’esprit, eux, ont bien une rĂ©alitĂ© historique.

Ils oublient aussi qu’Engels n’est pas le seul Ă  avoir exprimĂ© une telle idĂ©e. En termes un peu plus modĂ©rĂ©s, Marx a Ă©crit exactement la mĂȘme chose.5 Mais il est de mise actuellement de tenir aucun compte de certains passages marxiens quand il s’agit de sauver Marx contre lui-mĂȘme. C’est une forme moderne de dogmatisme. De mĂȘme que dans toute chose il existerait trĂšs dialectiquement dans Marx un (+) et un (-) ; la fidĂ©litĂ© inconditionnelle va jusqu’à essayer d’accroĂźtre le (+) par Ă©limination du (-).

La valeur et les valeurs d’échange

Mais il existe un ennui plus grave. Il n’y a aucun moyen de faire une thĂ©orie de la marchandise, c’est-Ă -dire d’expliquer la transformation des produits en marchandises, des valeurs d’usage en valeurs d’échange, sans s’intĂ©resser aux Ă©changes eux-mĂȘmes et sans donner leur dĂ©terminant et leur mesure.

Car il ne s’agit pas de dĂ©montrer la simple possibilitĂ© abstraite de mensuration, de quantification. Point n’est besoin d’une thĂ©orie particuliĂšre pour cela. n’importe quoi dans l’univers et comment sera avec n’importe quoi moyennant certaines abstractions et certaines rĂ©ductions. Il existe – pas un – mais une foule d’élĂ©ments communs dans les choses les plus dissemblables et les plus hĂ©tĂ©rogĂšnes. Par consĂ©quent, si vous vous bornez Ă  dĂ©montrer la simple possibilitĂ© en soit d’une quelconque Ă©quivalence entre les choses qui reproduisent la vie et la sociĂ©tĂ© humaine, vous Ă©vitez toutes les contradictions mais vous n’avancez pas d’un pouce dans la voie du savoir.

Pour avancer, il vous faudra non seulement poser la commensurabilitĂ©, en tant que simple possibilitĂ© de transformation de la qualitĂ© en quantitĂ©, ce qui n’est que la simple constatation d’un fait, non seulement dire que la commensurabilitĂ© implique l’existence d’une substance commune, ce qui ne nous apprend rien que nous ne sachions dĂ©jĂ , mais choisir une substance comme une parmi d’autres, une unitĂ© de mesure parmi toutes, une maniĂšre de quantifier parmi d’autres, et dĂ©montrer qu’elle est la bonne. La validitĂ© d’une thĂ©orie de la marchandise, c’est-Ă -dire d’une thĂ©orie de la quantification des produits du travail humain, est donc indissociable de la mesure choisie.

Or, les auteurs dont il s’agit raisonnent comme s’il pouvait y avoir une thĂ©orie de la valeur en dehors des valeurs d’échange des marchandises. Ils dĂ©clarent d’une part que la commensurabilitĂ© des marchandises implique que ces derniĂšres doivent avoir une substance commune et que cette substance c’est le travail–en cela ils sont d’accord avec Marx. Mais ils affirment par ailleurs que le travail n’est dans aucun cas mesure de valeur et que la thĂ©orie de la valeur n’a rien Ă  voir avec les valeurs d’échange des marchandises, ce qui contredit tous les longs dĂ©veloppements de Marx dans les premiers chapitres du Capital.

Cela est d’ailleurs contradictoire en soi point car si le travail n’est pas mesure de valeur, mĂȘme dans le cas oĂč r = Ø, alors il n’est pas substance des marchandises non plus, puisque la seule chose qui a fondĂ© dans notre esprit sa qualitĂ© de substance commune c’est justement le fait que les marchandises sont commensurables et que le travail nous est apparu comme le seul Ă©lĂ©ment commun permettant cette commensurabilitĂ©, donc comme la seule mesure possible.

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Dire que dans le systĂšme en valeurs l’exploitation est directement et clairement visible alors que dans le langage des prix de production elle devient illisible, c’est une pĂ©tition de principe des plus typiques. Nous ne voyons, nous ne lisons dans nos systĂšmes que ce que nous y avons mis nous-mĂȘme.

Si, en rĂ©alitĂ© ou par hypothĂšse, le travail est l’unique facteur de production, ou si les autres facteurs de production, pour une raison pour une autre (et encore une fois en rĂ©alitĂ© au par hypothĂšse), ne comptent pas pour la rĂ©partition du produit, la part des non travailleurs Ă©tant proportionnelle Ă  celle des travailleurs indĂ©pendamment du poids relatif des autres facteurs, alors les choses sont claires et l’exploitation saute aux yeux: autant d’heures pour soi-mĂȘme, autant d’heures pour le capitalisme. Lorsque, par contre, les autres facteurs interviennent, tout s’embrouille et l’exploitation devient difficile Ă  dĂ©chiffrer. Est-ce une raison pour dire que nous avons besoin du systĂšme en valeurs pour te montrer l’existence de l’exploitation?

Pas nĂ©cessairement. Les mythes sont gĂ©nĂ©ralement trĂšs clairs; les vĂ©ritĂ©s, complexes et implacable. Condamner, peut-ĂȘtre l’avortement dans le cadre de la morale religieuse est une chose sĂ»re et sans Ă©quivoque; c’est un interdit inconditionnel donnĂ© par rĂ©vĂ©lation divine. Par contre, se prononcer pour ou contre l’avortement en terme de morale laĂŻque, c’est une tĂąche ardu et incertaine. Cela ne dĂ©montre pas la rĂ©vĂ©lation divine ni le bien fondĂ© de l’interdit.

Si vraiment l’unique moyen dont nous disposons pour dĂ©montrer l’exploitation c’était la thĂ©orie de la valeur travail, si, par ailleurs, nous venions Ă  admettre que cette thĂ©orie est une pure construction de l’esprit et qu’elle ne reflĂšte aucun moment rĂ©el dans une sĂ©quence historique, si, enfin, il Ă©tait exact qu’un systĂšme correct de prix de production exclu cette notion, alors nous ferions mieux de reconnaĂźtre tout de suite que l’ “exploitation” est indĂ©montrable plutĂŽt que d’insister Ă  tourner en rond dans des spĂ©culations ontologiques, comme nous sommes en train de le faire depuis dĂ©jĂ  quelques annĂ©es.

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Mais ce n’est pas le cas. Tout dĂ©pend de la dĂ©finition. Naturellement, si nous dĂ©finissons l’exploitation par deux quantitĂ©s homogĂšnes de travail, respectivement payĂ© et impayĂ©, et son taux par le rapport de ces deux quantitĂ©s, nous supprimons par avance toute possibilitĂ© de trouver ces choses-lĂ  ailleurs que dans un systĂšme en valeurs travail. Mais si nous dĂ©finissons l’exploitation en terme de rĂ©partition du produit net de la sociĂ©tĂ© entre les travailleurs et les non travailleurs, il n’est plus nĂ©cessaire de remonter des prix de production aux valeurs pour la faire ressortir.

Cette rĂ©partition antagonique ressortirait encore plus clairement si nous abandonnons les deux simplifications majeures, aussi fortes qu’inutiles, de Sraffa, notamment:

  1. celle qu’il reprend de Marx, Ă  savoir une vitesse de rotation uniformĂ©ment Ă©gale Ă  l’unitĂ© aussi bien des Ă©quipements fixes que du capital constant circulant, et
  2. celle qu’il a introduite lui-mĂȘme, Ă  savoir, que les salaires sont payĂ©s aprĂšs la rĂ©alisation du produit et que leur montant ne compte par consĂ©quent pas dans le capital engagĂ©.

Ainsi, en symbolisant par A_a' B_a',...,K_a', A_b' B_b',...,K_b',..., A_k', B_k',...,K_k', les quantitĂ©s de A, B,..., K, constituant le capital fixe des branches a, b,..., K, alors que A_a, B_a,..., K_a, A_b, B_b,..., K_b,...,K_k reprĂ©sentent l’usure de ce mĂȘme capital + le capital constant (matiĂšre premiĂšre + matĂ©riaux auxiliaires), pour un an de production, le tout disponible au dĂ©but de l’annĂ©e, et en supposant que la somme annuelle des salaires doit ĂȘtre aussi disponible au dĂ©but de l’annĂ©e, nous remplacerons l’équation sraffienne,

(A_ip_a + B_ip_b + ... + K_i)(1+r) + L_iw = Ip_i

par \frac{(A_ip_a + B_ip_b + ... + K_i)(1+r) + L_iw + [(A_i'p_a + B_i'p_b + ... + K_i') + L_iw]r = Ip_i}{\frac{c}{\begin{aligned}Cout inputs materiels;\\consom.(improductive).\\ Element passif de la\\ valeur d'exchange.\end{aligned}} + \frac{v + profit}{\begin{aligned}Repartition antagonique entre les deux\\ classes\\ Element actif de la valeur d'exchange.\end{aligned}}}

À cette prĂ©sentation directe de l’exploitation par les prix de production on a opposĂ© deux arguments:

1) Que le capital (non travail) reçoive une part du produit social et que cela soit bien visible dans le systĂšme de prix de production ne suffit pas pour fonder l’existence de l’exploitation. Encore faut-il dĂ©montrer que le travail seul est productif. Or, Marx lui-mĂȘme a formellement condamnĂ© une telle exclusive.6

Joan Robinson a dĂ©jĂ  rĂ©pondu Ă  cette objection Ă  peu prĂšs dans ces termes: le capital peut bien ĂȘtre productif, la propriĂ©tĂ© du capital, elle, ne constitue pour autant pas une activitĂ© productive. Cette rĂ©ponse est adĂ©quate. La rente diffĂ©rentielle est bien reconnue par le marxisme comme Ă©tant l’effet de la productivitĂ© inĂ©gale de la terre, cela ne justifie pas pour autant Ă  ses yeux le droit du propriĂ©taire foncier Ă  s’approprier cette rente. 7 Qu’il y ait un seul facteur productif ou 1000, le seul facteur qui appartient Ă  l’individu et que l’individu peut fournir Ă  la sociĂ©tĂ© c’est le travail. Les autres facteurs, s’ils existent, appartiennent Ă  et sont fournis par la collectivitĂ©. Il s’ensuit que l’homme exploite l’homme dĂšs l’instant oĂč il reçoit quelque chose sans contrepartie de travail, et l’existance d’autres facteurs, ainsi que leur contribution Ă©ventuelle Ă  la production sociale, ne change rien Ă  cette situation.

“Capital productif”, “capital-produit de l’abstinence” sont des choses qui met gĂ©nĂ©ralement mal Ă  l’aise les marxistes. C’est un tort. Pour avoir voulu contester coĂ»te que coĂ»te ces affirmations, ils se sont mis dans une position de faiblesse dans leur discussion avec les nĂ©oclassiques. Je crois que la position juste est la suivante: le capital est productif mais le le fruit de cette productivitĂ© appartient comme le reste au travailleur. Le capital est en effet le produit de l’abstinence mais l’abstinence en question n’est pas celle des capitalistes. Il serait absurde de parler d’abstinence des capitalistes, alors que le plus abstinent d’entre eux consomme plus que le plus prodigue des travailleurs. C’est d’une part celle qui est imposĂ©e tous les jours au travailleur par le systĂšme du salariat; ce fut d’autre part l’abstinence forcĂ©e de ceux qui ont subi jadis l’accumulation primitive.

Il est bien entendu qu’ainsi posĂ©e l’exploitation est traitĂ©e en termes Ă©thiques. Il n’y a rien lĂ -dedans d’amoral. Comme nous l’avons dĂ©jĂ  dit, de par sa nature, cette notion est Ă©thique d’elle-mĂȘme et la scientificitĂ© du marxisme n’y peut rien. Ce qui est scientifique dans le marxisme c’est uniquement la dĂ©monstration du caractĂšre irrĂ©ductible de l’antagonisme et partant la nĂ©cessitĂ© objective de la lutte des classes et de son accentuation continue jusqu’à la disparition finale des classes elles-mĂȘmes.

Demander Ă  un systĂšme de prix ou de valeurs de nous faire ressortir que le profit est le produit de l’exploitation n’a aucun sens. Tout dĂ©pend de nos postulats fondamentaux et de nos propres dĂ©finitions. Ce qu’il faut et il suffit c’est que le systĂšme de prix nous montre que le salaire et le profit sont des composantes d’une grandeur donnĂ©e et qu’en tant que telles sont fonction dĂ©croissantes l’une de l’autre. Que par consĂ©quent, dans des conditions de production donnĂ©es, aucune augmentation de salaire ne peut avoir lieu sans diminution du profit et vice-versa, qu’aucune amĂ©lioration de la condition d’une classe ne peut se faire qu’au dĂ©triment de celle d’une autre classe.

En somme, la question essentielle, comme l’a trĂšs bien vu Maurice Dobb est celle de savoir si la valeur du produit est formĂ©e par addition du profit au salaire, selon ce que certaines formulations d’Adam Smith et la doctrine nĂ©oclassique pourraient laisser supposer, ou si, au contraire, le profit est constituĂ© par dĂ©duction du salaire de la valeur totale du produit, selon les formulations imparfaites et quelque peu vacillantes de Ricardo et celles, plus cohĂ©rentes et plus solides de Marx.

Si c’est la thĂ©orie de la dĂ©duction (selon le terme de Bortkiewicz) que nous choisissons, nous devons rechercher si un systĂšme correct de prix de production, par exemple type Sraffa, nous permet de saisir cette liaison fonctionnelle antagonique entre les deux pĂŽles de la rĂ©partition.

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2) Plusieurs arguments ont été avancés en vue de nier cette possibilité, mais celui qui condense et clarifie tous les autres se présente à peu prÚs dans les termes suivants:

Les prix relatifs du produit social revenant Ă  chaque classe sont des ensembles d’objets hĂ©tĂ©rogĂšnes. Elles ne peuvent donc ĂȘtre comparĂ©es que par l’entreprise des prix relatifs. Mais les prix relatifs eux-mĂȘmes dĂ©pendent de la rĂ©partition en termes de revenus monĂ©taire. Il est donc impossible de mesurer ces parts avant les prix et l’on ne peut connaĂźtre les prix qu’aprĂšs la fixation des parts. Il est donc impossible, non seulement de mesurer les parts ou leur rapport, mais aussi d’établir une liaison fonctionnelle entre elles.

La difficultĂ© est rĂ©elle mais pas, comme le croient ces auteurs, insurmontable. Il est exact que dans un systĂšme de prix de production ce ne sont pas les parts du produit social qui sont, mathĂ©matiquement parlant, fonction dĂ©croissante l’une de l’autre, mais le salaire et le profit. Pour que cette liaison fonctionnelle puisse reflĂ©ter un antagonisme irrĂ©ductible entre les deux classes, il faudrait donc qu’à toute variation du salaire monĂ©taire correspondit une inĂ©galitĂ© des agrĂ©gats de biens-salaire consommĂ©s par le travailleur respectivement avant et aprĂšs cette variation et que cette inĂ©galitĂ© allĂąt dans le mĂȘme sens que la variation qu’il a provoquĂ©e. Il faudrait, comme le disent Benetti et Cartelier, qu’on puisse Ă©crire une inĂ©galitĂ© ratricielle entre les deux ensembles des Ă©lĂ©ments du salaire dans les deux versions. 8 Ce oui, bien entendu, leur semble impossible.

Or c’est effectivement ainsi que le problĂšme se rĂ©sout et le dĂ©fit lancĂ© par Benetti et Cartelier est bien impudent. Car, si 100 francs ou 100 marks ne signifient rien quant Ă  la dĂ©termination d’un revenu,9 105 unitĂ©s d’une monnaie quelconque reprĂ©sentent en termes physique et indĂ©pendamment des prix un pouvoir d’achat supĂ©rieur Ă  celui qui est reprĂ©sentĂ© par 100 de ces mĂȘmes unitĂ©s et c’est cela qui compte.

Comment les deux pouvoirs d’achat peuvent ĂȘtre comparĂ©s indĂ©pendamment des prix puisque leur contenu consiste en biens hĂ©tĂ©rogĂšnes ? Ils le peuvent parce que le systĂšme des prix est tel que, toutes autres choses Ă©tant Ă©gales, aucun prix ne varie, par suite d’une variation des salaires, plus fort que le taux de cette variation mĂȘme.

Écrivons un systùme de prix relatif:

\begin{aligned} (A_ap_a + B_ap_a + ... &+ K_a)(1 + r) + L_aw = Ap_a\\ (A_bp_b + B_bp_b + ... &+ K_b)(1 + r) + L_bw = Bp_b\\ & \vdots\\ (A_jp_j + B_jp_j + ... &+ K_j)(1 + r) + L_jw = Jp_j\\ (A_kp_k + B_kp_k + ... &+ K_k)(1 + r) + L_kw = K\end{aligned}

Il s’agit de dĂ©montrer que \frac{\Delta p_i}{p_i} < \frac{\Delta w}{w}.

Tous les Ă©lĂ©ments de la matrice des inputs matĂ©riels Ă  gauche doivent ĂȘtre positifs ou nuls. Toutefois, il est clair que dans chaque Ă©quation-branche il doit y avoir au moins un Ă©lĂ©ment, autre que l’output de la mĂȘme branche, non nul. Sinon, notre systĂšme se disloque en plus d’un sous-systĂšmes parfaitement dĂ©terminĂ©. Cette contrainte au plan mathĂ©matique formalise la condition posĂ©e par Sraffa, Ă  savoir, que toutes les marchandises doivent ĂȘtre “fondamentales”, c’est-Ă -dire que chacune d’entre elles, (A, B,…,K) doit entrer directement ou indirectement dans la production de toutes les autres branches, donc directement au moins une des autres branches.

Il existe donc une diagonale Ă©lĂ©mentaire (minimale) qui doit obligatoirement se trouver au sein de n’importe quelle combinaison, les autres Ă©lĂ©ments de la combinaison pouvant ĂȘtre indiffĂ©remment positifs ou nuls et disposĂ©es dans un ordre quelconque autour de cette diagonale que voici:

\begin{aligned} ( 0 + 0 + 0 + ... + 0 + K_a) &(1 + r) + L_aw = Ap_a\\ (A_bp_a + 0 + 0 + ... + 0 + 0) &(1 + r) + L_bw = Bp_b\\ (0 + B_cp_b + 0 + ... + 0 + 0) &(1 + r) + L_cw = Cp_c\\ (0 + 0 + C_dp_c + ... + 0 + 0) &(1 + r) + L_dw = Dp_d\\ & \vdots\\ (0 + 0 + 0 + ... + J_kp_j + 0) &(1 + r) + L_kw = K\end{aligned}

K_a, K_b...K_k Ă©ntant invariables et r variant en raison inverse de w, il s’ensuit que

\frac{\Delta p_a}{p_a} < \frac{\Delta w}{w}

ce qui entraine \frac{\Delta p_b}{p_b} < \frac{\Delta w}{w}

ce qui entraine ⋼

ce qui entraine ⋼

ce qui entraine \frac{\Delta p_j}{p_j} < \frac{\Delta w}{w}

Étant donnĂ© qu’aucun input ne peut ĂȘtre nĂ©gatif, ses rĂ©sultats n’est pas altĂ©rĂ© si, Ă  partir de la situation Ă©lĂ©mentaire ci-dessus, nous nous mettons Ă  remplir l’une aprĂšs l’autre les cases de la matrice avec des Ă©lĂ©ments non nuls.

\hfill \star \hfill \star \hfill \star \hfill

Si aucun prix ne varie, notamment n’augmente, plus fort que le taux de l’augmentation du salaire qui a provoquĂ© son Ă©lĂ©vation, il s’ensuit que le bĂ©nĂ©ficiaire de cette augmentation, par exemple de 100 Ă  105, s’il le veut, avec 105 unitĂ©s de la marchandise-numĂ©raire obtenir de chacun des biens qui constitue l’assortiment de sa consommation une quantitĂ© supĂ©rieure Ă  7 kg avec 100 de ces mĂȘmes unitĂ©s, Ă  condition de ne pas dĂ©passer certaines limites dans chacune des composantes de l’ensemble. S’il veut dĂ©passer ses limites dans quelques-uns des biens de la collection, il devra subir un dĂ©faut dans les autres, mais, dans ce cas, le nouvel assortiment sera supĂ©rieur au prĂ©cĂ©dent par le fait mĂȘme de ce choix.

S’il y a deux biens, a et b, et si sa consommation avec 100 unitĂ©s monĂ©taires est xa + yb, il pourra, avec 105 unitĂ©s monĂ©taires consommer x'a + y'b oĂč x' > x et y' > y, et, par consĂ©quent x'a + y'b > xa + xb.

Si Ă  x'a + y'b il prĂ©fiĂšre x''a + y''b oĂč x'' > x' > x, mais y' > y'' < y, alors x''a + y''b > x'a + y'b, du fait de cette prĂ©fĂ©rence et comme x'a + y'b > xa + yb il s’ensuit que x''a + y''b > xa + yb.

C’est cela qui donne un sens au revendications salariale avant les prix.

\hfill \star \hfill \star \hfill \star \hfill

LE TAUX D’EXPLOITATION

Mais il est exact de dire que ce qui prĂ©cĂšde ne nous donne pas un taux d’exploitation. Si nous pouvons connaĂźtre le sens des variations rĂ©ciproques des revenus et par consĂ©quent montrer l’existence d’un antagonisme irrĂ©ductible entre certaines catĂ©gories d’ayant droit, en revanche, nous ne pouvons, en aucun cas, les mesurer, ni en termes d’absolu ni en termes relatifs, puisque ce que les travailleurs et ce que les non travailleurs reçoivent Ă  chaque instant sont incommensurables avant les prix, et les prix dĂ©pendent de ces deux quanta.

Commençons donc par nous demander Ă  quoi nous servirait un tel taux. Quelle diffĂ©rence cela ferait-il de savoir que le “vrai” taux soit de 50 et non de 40 ou de 60% ? Pris isolement, quel sens ont ces chiffres? Avons-nous des raisons de croire, par exemple, qu’il existe un taux acceptable et un autre insupportable en soi?

D’abord, je trouve qu’il y a lĂ  un passage injustifiĂ© de la condition nĂ©cessaire Ă  la condition suffisante. Pour que le taux d’exploitation ait un sens il faut mais il ne suffit pas qu’il soit indĂ©pendant des prix. Le rapport de poids des biens appropriĂ©s par les uns et par les autres est aussi indĂ©pendant des prix; il n’a pas de sens. Donc du fait que le rapport profits/salaires monĂ©taires serait inacceptable parce que dĂ©pendant des prix il ne s’en suit pas que le rapport travail impayĂ©/travail payĂ© est, lui, acceptable parce que indĂ©pendant des prix.

Pourquoi ce dernier rapport serait significatif? Je ne vois qu’un seul cas, celui oĂč nous voudrions savoir de combien la journĂ©e de travail serait rĂ©duite si, les techniques et le fond d’accumulation passĂ©e Ă©tant donnĂ©s, les capitalistes Ă©taient supprimĂ© et l’on dĂ©cidait d’entrer dans une Ăšre de reproduction simple en se contentant du niveau de consommation atteint par les travailleurs Ă  la veille de la rĂ©volution.

C’est un renseignement dont le besoin risque de ne jamais se prĂ©senter. Si tant est que l’humanitĂ© rĂ©volutionnaire veut vraiment quantifier l’amĂ©lioration de son Ă©tat par suite de la suppression de l’exploitation, ce ne sera pas en termes de rĂ©duction des heures de travail mais en termes d’augmentation de son bien-ĂȘtre matĂ©riel qu’elle cherchera Ă  le faire, quand bien mĂȘme elle aura, dans une certaine mesure et dans certains cas, Ă  opter entre les loisirs et la consommation.

Travailler autant d’heures pour soi-mĂȘme et autant d’heures pour le capitaliste n’est qu’une formule et, qui plus est, une formule qui peut induire en erreur si l’on n’y prend garde. Ce qu’on partage en rĂ©alitĂ© ce n’est pas la journĂ©e de travail mais son produit, et Ă  l’encontre de la premiĂšre qui est homogĂšne le second ne l’est point. Car si, pour mesurer ce que l’homme donne Ă  la sociĂ©tĂ©, le nombre de facteurs est indiffĂ©rent, comme je le dis plus haut, dĂšs lors que lui ne peut donner que son travail, ce nombre n’est pas du tout indiffĂ©rent si nous voulons mesurer ce que l’homme reçoit de la sociĂ©tĂ©. L’apport de l’homme est simple : le coĂ»t social est composite. Alors si le capitaliste reçoit pour sa part une voiture dans laquelle sont incorporĂ©es 200 heures de travail et dont le prix est de 2000 dollars, et le travailleur reçoit x kilos de viande dans lesquels 1000 heures de travail sont incorporĂ©es et dont le prix est aussi de 2000 dollars, autant il est mal fondĂ© de dire que le taux d’exploitation est de 100%, autant il est absurde de dire qu’il n’est que de 20%.

Tant qu’à faire, des deux rapports je prĂ©fĂšre encore le premier qui reflĂšte la rĂ©alitĂ© capitaliste, objet de notre Ă©tude, au second qui prĂ©tend reflĂ©ter une rĂ©alitĂ© supĂ©rieure et qui la rate complĂštement. Il suffit de penser que toute Ă©lĂ©vation de la composition organique de la branche voitures fera baisser le taux d’exploitation, Ă©tabli selon ce calcul, alors que ni le rapport des forces, ni les salaires nominal et rĂ©el, ni les appropriations rĂ©elles respectives ne seront nullement modifiĂ©es.

Mais, je le rĂ©pĂšte, aucun des deux rapports ne me semble utile en soi. Ce qui peut-ĂȘtre utile, ce sont les liaisons fonctionnelles de leurs variations. Or, je ne vois pas de thĂ©orĂšme basĂ© sur ces fonctions oĂč les variations du rapport profits/salaires en monnaie ne feraient pas l’affaire.

Et aprĂšs tout, est-ce que vraiment les heures de travail, fussent-elles du mĂȘme individu, fournies dans les mĂȘmes conditions et dans la mĂȘme journĂ©e, sont vraiment plus homogĂšnes que les agrĂ©gats de biens que cet individu consomme ? La septiĂšme ou la huitiĂšme heure de la journĂ©e reprĂ©sentent-elles la mĂȘme dĂ©pense d’énergie vitale, la mĂȘme spoliation du travailleur par le capitaliste, que la deuxiĂšme ou la troisiĂšme ? Qu’est-ce qui nous autorise Ă  dire que 8h de travail sont le double de 4h et que par consĂ©quent 4h de plus-value sur 8 heures de travail reprĂ©sentent un taux d’exploitation de 100% ?


  1. Ici aussi l’expression “exploitation du surtravail” n’a de sens que comme Ă©quivalent Ă ”appropriation du surtravail”.↩
  2. Voir page 3, note
 ci-dessus sur l’utilisation par Marx de l’expression: “exploitation dusurtravail”.↩
  3. C’est ce que Marx affirme explicitement dans les FONDEMENTS, cf. page 2 ci-dessus.↩
  4. En effet le producteur n’a dans ce cas aucune possibilitĂ© de grever son prix de vented’une rĂ©munĂ©ration proportionnelle Ă  son capital, puisque le seul moyen dont il disposerait pour obliger le marchĂ© de lui reconnaĂźtre un tel renchĂ©rissement, celui de crĂ©er une pĂ©nurie en arrĂȘtant ou en rĂ©duisant sa production et en transfĂ©rence et capitaux dans une autre branche, lui fait justement dĂ©faut.↩
  5. “L’échange des marchandises Ă  leur valeur ou Ă  peu prĂšs, nĂ©cessite un degrĂ© de dĂ©veloppement moindre que l’échange aux prix de production qui requiert un niveau dĂ©terminĂ© de dĂ©veloppement capitaliste
 MĂȘme si l’on ne tient pas compte du fait que les prix et leurs mouvements sont dominĂ©s par la loi de la valeur, il est donc tout Ă  fait conforme Ă  la rĂ©alitĂ© de considĂ©rer que la valeur des marchandises prĂ©cĂšdent, du point de vue non seulement thĂ©orique, mais aussi historique, leur prix de production. Ceci est valable pour les cas oĂč les moyens de production appartiennent Ă  l’ouvrier; ceci est le cas, dans le monde ancien comme dans le monde moderne, pour le paysan possĂ©dant son fond et cultivant lui-mĂȘme et pour l’artisan. Ceci concorde Ă©galement avec notre opinion Ă©mise prĂ©cĂ©demment, Ă  savoir que la transformation des produits en marchandises rĂ©sulte de l’échange entre diffĂ©rentes communautĂ©s et non pas entre membres d’une seule et mĂȘme commune. Ce qui vaut pour ces conditions primitives vaut Ă©galement pour les conditions ultĂ©rieures
 aussi longtemps que les moyens de production immobilisĂ©s dans chaque branche ne peuvent ĂȘtre transfĂ©rĂ©s que difficilement d’une branche Ă  l’autre, et que, dans certaines limites, les diffĂ©rentes sortes de production se comportent entre elles comme le feraient des pays Ă©trangers ou des communautĂ©s communistes.” (Livre III, Ed. Soc. T.VI, p.193 et suivantes. SoulignĂ© par Engels).↩
  6. (Cf. sa “Cririque du Programme de Gotha”.↩
  7. Remarquons aussi qu’il s’agit d’une question de terminologie. Si par “capital” nousentendons, non pas les moyens matĂ©riels de production mais le rapport social reflĂ©tĂ© dans la propriĂ©tĂ© juridique de ces moyens et contenant le “droit” de prĂ©lever une partie du produit de ses moyens, alors, au lieu de dire, comme Joan Robinson, que le capital est productif mais que la propriĂ©tĂ© du capital ne l’est pas, on dira que les Ă©quipements sont productifs mais que le capital ne l’est pas. Il est Ă©vident aussi que dans les deux cas, on entendra “productif” de valeurs d’usage, de richesses; on peut entendre “productif” de valeur, si, par dĂ©finition, la valeur est une certaine quantitĂ© de travail.↩
  8. Cf. PROFIT ET EXPLOITATION: LE PROBLÈME DE LA TRANSFORMATION DES VALEURS EN PRIX, Papier ronĂ©otypĂ©, SĂ©minaire Anthropos, 1972.↩
  9. MĂȘme si ces choses expriment une certaine quantitĂ© physique d’une certaine marchandise-numĂ©raire (or), c’est-Ă -dire mĂȘme si nous nous trouvons en rĂ©gime de convertibilitĂ© absolue.↩

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